En mai 2020, le rapport de la Cour des comptes sur la certification des comptes du Régime général de la Sécurité sociale pour l’exercice de 2019 pointait l’augmentation des erreurs commises lors de la liquidation des pensions de retraite. Un chiffre alertait particulièrement les Sages de la rue Cambon : plus d’une pension sur 7 nouvellement attribuée ou révisée comporte au moins une erreur financière. Une proportion qui grimpe à une pension sur 5 dans certaines caisses, notamment en Ile-de-France.
Jeudi 14 janvier 2021, dans son numéro Retraites : le compte n’y est pas ! L’émission Envoyé Spécial consacrait une partie de son programme à la question des erreurs de calcul sur les pensions. Nous pouvions y découvrir les errances d’assurés retraités en quête de régularisation de leurs droits confrontés à un système complexe et une administration indisponible.
Périodes non prises en compte, trimestres ou points de retraite manquants, salaires mal renseignés… Quand les erreurs s’accumulent sur les relevés individuels de carrière, que pouvons-nous faire ? Loïc Delhay, conseiller en stratégie retraite, nous offre son expertise et ses conseils, ainsi qu’un rapide panorama des dernières évolutions en matière de stratégies retraite dans un contexte sanitaire délicat.
Previssima – Dans le contexte économique et sanitaire actuel, constatez-vous des évolutions des demandes de stratégies de retraite ?
Loïc Delhay – Les demandes ont effectivement très sensiblement évolué dans le cadre du contexte sanitaire et de la crise économique à venir. Plus spécifiquement constituée de chefs d’entreprise, de travailleurs indépendants et de professionnels libéraux, notre clientèle se pose des questions sur son avenir économique. Or, le spectre de la retraite fait partie de leur stratégie d’avenir. Ils s’intéressent notamment aux dispositifs d’aménagement de fin de carrière pouvant leur permettre de partir plus tôt : départ anticipé, rachats de trimestres/points, cumul emploi-retraite, etc.
Ce mouvement va pourtant à rebours de la volonté des pouvoirs publics qui incitent les assurés à repousser leur départ en retraite. À l’inverse, je constate que mes clients souhaitent prendre leur retraite de plus en plus tôt, y compris au sein des catégories socio-professionnelles qui partent traditionnellement tardivement, notamment les professions libérales. Lorsqu’ils sollicitent nos services, c’est pour mesurer, par le biais de simulations, l’impact que pourrait engendrer une année ou deux de cotisations supplémentaires sur le montant de leur future pension. Le plus souvent, ils jugent ces effets modestes et souhaiteront partir avec une décote, mais partir en bonne santé.
En place depuis 2-3 ans, cette tendance s’est accélérée avec la crise du Covid-19.
Quels dispositifs sont particulièrement séduisants pour vos clients ?
Le rachat de trimestre est très plébiscité, particulièrement cette année dans le contexte de la crise. Après étude du dossier du client et simulations, ce dispositif peut être intéressant fiscalement, car le rachat de trimestre est entièrement déductible de l’impôt sur le revenu. En outre, il permet de partir à la retraite plus tôt.
La crise économique, au-devant de nous, crée un levier psychologique qui incite beaucoup de personnes à partir tant que les conditions sont favorables.
Par ailleurs, nous rencontrons cette année une nouvelle clientèle constituée de salariés qui se sont vu proposer des plans de départs volontaires (avec rupture conventionnelle et prime de départ) par leur entreprise fortement impactée par la crise. Pour cette population, souvent âgée de 58/60 ans, le travail consiste à évaluer l’intérêt et la pertinence de l’opportunité qui leur est faite au regard de leur situation globale (âge, espérance de vie, droits au chômage, baisse du revenu pris en compte dans le calcul de la retraite, montant de la prime de départ volontaire, etc.) et éventuellement de leur permettre de négocier les conditions de ce départ.
En tant qu’expert en stratégie retraite, quels types d’erreurs sur les pensions rencontrez-vous le plus souvent ?
Les erreurs peuvent intervenir à deux moments du processus de constitution des droits retraite : à l’occasion du relevé de carrière et lors de la liquidation des droits.
Pour les personnes encore en activité, j’estime que 80 % des relevés individuels de carrière sont erronés. De nature plus ou moins importantes, ces erreurs peuvent concerner quelques points retraite, jusqu’à plusieurs années manquantes.
En ce qui concerne les départs en retraite, je rejoins les conclusions du rapport de la Cour des comptes : 1 à 2 dossiers sur 7 sont erronés, alors que souvent j’ai déjà opéré une régularisation de carrière. Sur cette phase de liquidation de pension, les erreurs touchent souvent le revenu annuel moyen (RAM), le calcul de la surcote, la dernière année d’activité manque, la majoration pour enfants n’a pas été prise en compte, etc.
Les polypensionnés qui ont changé à plusieurs reprises de régimes et pour qui la perte d’information est importante sont les plus impactés par les erreurs sur les droits retraite. De plus, les caisses ne communiquent absolument pas entre elles.
Quels sont les recours pour un futur retraité qui constate une erreur sur son relevé de carrière ?
Pour une personne cotisante, il n’y a pas réellement de recours.
D’une part, ce document n’est pas contractuel, il est délivré aux assurés de façon informative sans aucune obligation légale de le faire rectifier.
D’autre part, les caisses de retraite n’ont pas les moyens de le faire rectifier. Elles n’ont déjà pas les moyens de liquider convenablement les droits des personnes qui partent en retraite, elles ont encore moins le temps de rectifier les erreurs sur les relevés des personnes plus jeunes.
Pour les assurés, il faut aussi conjuguer avec une iniquité de territoire. Dans certaines régions, notamment peuplées, les demandes de régularisation ne pourront tout simplement pas être traitées, car les caisses n’ont pas les ressources humaines pour le faire. C’est scandaleux, mais selon votre territoire, vous ne bénéficierez pas du même traitement de votre dossier.
Les principales difficultés se concentrent au niveau du régime général, c’est-à-dire des CARSAT et des CNAV. Certaines caisses ne traitent absolument pas les demandes de régularisation de carrière, malgré les relances et les courriers avec accusé de réception. Pour les demandes de rectification auprès du régime complémentaire AGIRC-ARRCO, les délais sont longs (6 mois à 2 ans) mais les assurés recevront une réponse. Je fais le même constat auprès des caisses des libéraux.
Et au moment de la liquidation des droits à retraite ?
Dans cette situation, nous sommes obligés de passer par les voix de recours.
Pour partir en retraite, le processus administratif prend 4 à 6 mois. Dès lors que le dossier complet de demande de liquidation a été déposé au moins 4 mois avant le départ, les caisses d’assurance vieillesse disposent uniquement de ces 4 mois pour mettre en paiement la retraite. C’est la garantie de versement, un dispositif instauré sous le quinquennat de François Hollande, en 2015.
Valider le relevé de carrière
Une fois la demande déposée, l’assurance retraite envoie un relevé de carrière au futur retraité et lui demande de le valider. Il y a ici une première difficulté à surmonter : ce document est extrêmement complexe à lire et à comprendre. Idéalement, chaque cotisant devrait reprendre chaque année de sa carrière pour vérifier si les droits inscrits correspondent aux montants qu’il a cotisés. C’est un travail fastidieux.
Par ailleurs pour certains évènements de la vie, les assurés sociaux ignorent s’ils ont validé des droits ou non. Je pense notamment aux périodes de chômage ou d’arrêt maladie. Plus surprenant, j’ai parfois des clientes qui ont eu des enfants et qui découvrent qu’elles ont droit à 8 trimestres supplémentaires.
En résumé, il est difficile de valider le relevé envoyé par les caisses de retraite.
Contester la notification de retraite
Une fois ce document validé, la caisse procède au calcul de la pension. Elle renvoie à l’assuré une notification de retraite indiquant le montant de la pension.
Le futur retraité a théoriquement 2 mois pour contester ce montant auprès de la Commission de recours amiable (CRA), mais il y a une subtilité. Lors de la première contestation, la CRA n’est pas réellement saisie, le traitement du dossier repart au gestionnaire qui a notifié la retraite. Cette personne pourra considérer que la notification envoyée est la bonne et/ou ne pas avoir le temps de réétudier le dossier. Il m’est également arrivé de faire jusqu’à 4 recours, sans avoir de réponse.
Lorsque la première contestation n’aboutit pas à une réponse satisfaisante, le deuxième recours ira cette fois à une commission qui réétudiera le dossier.
À nouveau, il n’y a pas d’équité sur le territoire. Dans certaines régions, les commissions ne sont pas surchargées, elles vont traiter le dossier rapidement, dans d’autres cela peut prendre 6 mois, 1 an, 2 ans…
Que conseillez-vous aux personnes qui envisagent de prendre leur retraite pour sécuriser leurs droits ?
Je conseille aux personnes qui souhaitent prendre leur retraite de commencer leurs démarches en avance.
Pour les personnes qui sont éloignés de cette échéance, il est nécessaire de faire un suivi et de vérifier l’enregistrement de leurs données. Leur situation ne sera pas régularisée immédiatement, mais cela leur permettra de commencer à se constituer un dossier.
La preuve est toujours au cotisant, il est donc important de conserver toutes les archives de carrière, les bulletins de salaire, les relevés d’indemnités journalières, les périodes de chômage, etc. Les caisses de retraite font parfois des enquêtes pour rechercher des données, mais souvent elles n’ont pas le temps. Par ailleurs, les entreprises et les administrations n’ont pas des délais de conservation très long (au maximum 10 ans). Il s’agit en effet de données sensibles dont le traitement est soumis à la réglementation générale sur la protection des données (RGPD).
Pour finir, dans le cadre de la rectification du relevé de carrière, je préconise de relancer régulièrement les services concernés. Ce sont les assurés qui insistent le plus qui verront leur demande aboutir.